top of page
Writer's pictureN. Système

Le glyphosate, cet indispensable de nos assiettes

En termes d’actualité froide, digérée, réutilisée à outrance, le glyphosate est le candidat parfait. À la fois polarisateur des débats sur l’agriculture et dissimulateur d’un problème bien plus profond, faisons le point sur les enjeux derrière cette simple molécule.


Naissance et consécration


Son histoire commence lors de sa découverte dans les années 50 par un chimiste suisse, Henri Martin. Cette molécule restera pendant 20 ans sans grande utilité. C'est seulement en 1970 qu'un autre chimiste, John E. Franz - un employé de la célèbre entreprise américaine Monsanto - lui trouve une propriété plutôt sympathique, celle d’être un puissant tueur de plantes.


Il aura fallu peu de temps avant que Monsanto commecialise dès 1974, "Roundup", un herbicide capable de détruire la grande majorité des mauvaises herbes lors de ce qu’on appelle "l’inter-culture" (donc juste avant de semer). Le Round up se révèle finalement être peu cher à produire, particulièrement efficace pour l’agriculture et bien plus respectueux de l’environnement que les autres herbicides existants.




 

Interlude Science

Le principe de l'herbicide est le suivant : le glyphosate va être absorbé par la plante via ses feuilles. Puis, il va se déplacer jusqu’aux organes de croissance grâce à la sève. La molécule va inhiber / empêcher l’action d’une enzyme (du joli nom de 5-Énolpyruvylshikimate-3-phosphate synthase ((EPSPS)) – présent chez les plantes, les bactéries et les champignons. L’objectif de cette fameuse enzyme est notamment la fabrication d’acides aminés aromatiques – des constituants essentiels des protéines. À titre de référence, les enzymes jouent des rôles importants dans le corps humain, de la digestion à la production d’hormones. Donc sans grande surprise, le glyphosate entraine la mort pure et simple de la plante.


 

Une aubaine pour le monde agricole qui - à partir des années 50 - a débuté l’agriculture "intensive" et l’ouverture au marché mondial et à l’exportation (on suppose que la France n’a pas d’agriculture intensive à proprement parler. À partir des années 2000, le brevet du glyphosate tombe dans le domaine public - ce qui signifie que de nouvelles entreprises peuvent gratuitement développer leurs produits au glyphosate. Il en existerait un peu moins d’une centaine de déclinaisons, la plupart appartenant à Monsanto.


Mais outre l'agriculture, le produit trouve sa place dans de nombreux autres domaines, comme chez la SNCF qui utilise le produit pour l’entretien de ses lignes de chemin de fer (le groupe public a annoncé l’arrêt de son utilisation pour la fin 2021).



Un arrêt ? Ça n’a pas de sens…


Le glyphosate n’est pourtant pas parfait. Il se pourrait bien (remarquez l’utilisation du conditionnel) qu’il ait un impact nocif sur l’environnement ET sur la santé humaine… Il est possible de relever 3 reproches principales faites au glyphosate : nuisible à la santé, très polluant dans l’eau et cancérigène.


Déjà à l’approche du 21e siècle, les premières études font leur apparition pour souligner de potentiels risques pour la biodiversité et la santé de, nous, humains. Une dynamique qui s’est largement accélérée depuis. Notamment à cause de deux évènements majeurs.


  • En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), directement lié à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), classe le glyphosate comme "agent probablement cancérogène pour l’homme (2A)", au même titre que la viande rouge ou que le travail de nuit (étonnant de voir ce dernier dans la liste), qui se caractériserait notamment par un risque accru de développer un cancer - le lymphome non hodgkinien. Le souci étant que le CIRC est presque seul contre tous. En effet, La grande majorité (si ce n’est toutes) des agences de santé internationales (française, européenne, canadienne, coréenne) concluent de leur côté que le glyphosate n’est pas cancérigène. Pourtant, le rapport du CIRC est fortement relayé par les médias, les autres, un peu moins... Un graphique de 2018 réalisé par "Chèvre Pensante" offre une certaine idée du problème.


Lien vers la publication Facebook


  • Dans un deuxième temps, 2018 marque un tournant majeur en défaveur du glyphosate, Monsanto est accusée d’avoir entrainé un cancer (ce fameux lymphome) chez un fermier américain utilisant le Round up, Dewayne Johnson. Là encore, c’est un épisode assez chaotique. Tout d’abord condamnée à verser 289 millions de dollars de dommages et intérêts, la firme américaine ne devra finalement (que) 20,4 millions de dollars. Bayer, la société maintenant propriétaire de Monsanto croûle maintenant sous les procès.



Le glyphosate, une partie de plaisir scientifique


D’un côté, le CIRC est le seul à dénoncer la potentielle dangerosité du produit, de l’autre Monsanto se fait tout de même condamner malgré le presque consensus sur la question… Il en devient compliqué de se faire un avis clair.


Le numéro 44# de la revue de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale propose un début de réponse.


Dans un long article sur l’environnement réalisé par Marie Simon, le sociologue Henri Boullier de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux à Paris y explique que les grands débats sur la toxicité de tels ou tels produits n’ont fait que rendre plus visible la différence entre la toxicologie académique de la toxicologie réglementaire.

Tandis que la première sert à comprendre les impacts d’un produit sur son environnement, la seconde, tente d’estimer la dangerosité d’un produit « X » dans un usage réglementé, idéal et sans défaillance humaine, dans le but de le commercialiser.


On l’a évoqué plus haut, il existe aujourd’hui une multitude de mélange à base de glyphosate. Cela devient particulièrement problématique dans le cas de la toxicologie académique - où les scientifiques doivent observer de potentielles nouvelles interactions dangereuses pour l’humain, la biodiversité et/ou l’environnement.


En plus de 40 ans d’utilisation, le glyphosate s’est évidemment propagé dans de nombreux champs sur la planète. Nombre d’agriculteurs se sont retrouvés avec des produits non traduits dans leurs langues d’origine (Thaïlandais, Cambodgien etc…), ou avec du matériel largement défaillant pour une utilisation sécurisée du produit.


Et comme si ce n’était pas assez, il est possible de rajouter une nouvelle couche au problème - les pratiques diffèrent entre les régions du monde. Par exemple, en Europe, les agriculteurs n’ont pas le droit de pulvériser du produit directement sur les cultures. Au contraire, aux États-Unis, il est possible d’en mettre directement dessus pour faciliter la récolte (par exemple pour le blé). Au début l’idée peut sembler un peu étrange, mais elle a bel et bien une utilité.


En utilisant le glyphosate directement sur les plantes avant la récolte, celles-ci arrêtent de se développer (de « grandir ») au même moment. Ce qui permet d’avoir un champ relativement homogène, et d’assécher la culture pour qu’elle soit vendue plus rapidement.


 

Il en devient compliqué de se faire un avis précis et direct sur la question (et je suis encore moins qualifié pour déterminer le sérieux d’une étude). Je mets quelques captures d’écran sur l’année 2020 de ce qu’on peut trouver sur le glyphosate dans Google Scholar histoire de voir l'état de la recherche.




En soi, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a publié un avis en 2019, on peut y lire "Au regard des données actuellement disponibles, le niveau de preuve concernant la génotoxicité (NDLR - capable d'intervenir sur les gènes d'un animal) peut être considéré comme relativement limitée", et pour l’homme, pas de lien de causalité direct entre contact au glyphosate et développement d’un cancer.


Cependant, l’Anses appelle à des études plus poussées sur la question.

Et justement, le conditionnel revient encore une fois. Sans pour autant avoir d’effets directs sur nous, il se pourrait que le glyphosate ait des impacts "en cascade".


En voici un aperçu avec cette étude : Glyphosate may affect human gut microbiota | EurekAlert! Science News (Le glyphosate pourrait avoir un impact sur le microbiote intestinal).


Tout d’abord, les chercheurs supposent qu’il est possible de rentrer en contact indirect avec du glyphosate à travers les aliments. Or, ils estiment que la molécule pourrait s’attaquer aux EPSPS (si ce terme semble inconnu, se référer à l’interlude scientifique 😉) des "bonnes" bactéries qui cohabitent dans notre intestin. Ce qui entrainerait leur mort également et entrainerait des complications graves sur notre système biologique.


Un système bien foutu


Le système agricole c’est avant tout des agriculteurs, évidemment, mais aussi une industrie tournée globalement en occident vers la grosse production. Mais pourquoi ce système est-il si dépendant au glyphosate ?


Quelques points pour s’y retrouver :


· J’avais écrit un article pour Sciences et Avenir sur une étude menée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) qui disait globalement que 70% des terres agricoles appartiennent à seulement 1% des propriétaires.


· On a donc affaire à une majorité d’agriculteurs qui ne sont pas propriétaires, mais qui sont dépendants de la taille de leur production pour vivre, car ils ont des comptes à régler aux grands propriétaires ( et puis il faut bien gagner de l'argent pour vivre).


· En s’imposant avec le glyphosate, Monsanto a participé à transformer le système agricole, rendant presque indispensable son produit (Le Round up et ses cousins). Pire encore, on ne va pas s’attarder sur le sujet, mais Monsanto a inondé le marché agricole d’OGM (organisme génétiquement modifié) développés par elle-même – soja, coton, colza, etc. Ces OGM sont résistants au glyphosate, renforçant d’autant plus la dépendance des agriculteurs.


· L’arrêt complet et immédiat du glyphosate peut entrainer de grandes pertes financières pour les agriculteurs, et peut poser des problèmes de souveraineté alimentaire – la capacité d’un pays à s’autoalimenter.


Le système est donc très résilient, le tout soutenu par de solides fondations.


Le glyphosate, la fin d’une ère ?


À l’heure d’une méfiance toujours plus grande envers le glyphosate. plusieurs pays du monde ont commencé à l’interdire progressivement, Vietnam, Mexique, le Luxembourg, pour ne citer qu’eux. En Europe, la fin est prévue d’ici fin 2020. La France de son côté a décidé d'accélerer la cadence en interdisant le glyphosate pour le 1er janvier 2021.


Donc arrêt complet depuis le début de l’année en France ? Et bien pas vraiment, le glyphosate est interdit pour certaines agricultures qui peuvent réellement s'en passer, comme en viticulture (le vin), l'arboriculture, ou certains espaces forestiers… Mais l'arrêt définitif prend toujours plus de retard.


Pour les grandes cultures, il faut organiser une transition pour les agriculteurs afin d’éviter de potentiel problèmes financiers et une dégradation du milieu agricole et de sa capacité de production (et accessoirement, d’un point de vue économique pour les exportations). Mais ce n’est pas aussi simple.


À la recherche de la solution magique


Dans le doute, il semble donc pertinent de laisser le glyphosate de côté et de partir sur autre chose… Mais autre chose, qu’est-ce que c’est ? Un autre herbicide ?


L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) –lié au ministère français de l’agriculture et de l’alimentation – est allé faire ses recherches afin de trouver des alternatives viables au glyphosate.


Mais encore une fois, la situation est assez paradoxale par rapport aux enjeux environnementaux actuels.


Rappelons que l’objectif du glyphosate est de tuer les mauvaises herbes (car les mauvaises herbes - aussi appelées "adventices" - entrent en compétition avec la plante qu'on veut cultiver). L’objectif de l’INRAE est de trouver une solution pour palier la perte du glyphosate dans les exploitations. Premier problème au niveau des autres alternatives chimiques, elles sont plus chères et plus toxiques...


Il faut donc aller voir autre part, peut-être dans les méthodes agricoles en elles-mêmes ?

 

Interlude agricole

Ce passage mériterait un article entier sur les types d’agricultures et leurs différences, voici un lien qui fait un point rapide sur la question : Les différentes agricultures (scienceenlivre.org).

Il existe diverses manières de travailler le sol. L’INRAE en propose 5 (eux-même venant de Reboud et al. (2017) – soit : le semis direct, les techniques culturales simplifiées (TCS) et le labour (qui peut être occasionnel, fréquent ou systématique).

Le travail du sol est une étape indispensable lorsque l’on veut cultiver une terre. Mais en contrepartie, le sol subit des dommages, notamment par l’érosion (les minéraux remontent à la surface et ne peuvent plus alimenter les cultures) et la vie de certains organismes vivants présents est fortement perturbée - les deux étants indispensables à une terre saine et cultivable.


L’INRAE sépare en deux groupes les méthodes d’entretien :


  • Le semis direct et le TCS sont relativement respectueux des sols et des êtres qui y habitent. Mais ces méthodes ont besoin d’un peu de glyphosate pour être viables.


  • Le labour – lorsqu’on prend la charrue pour retourner la terre - permet l’élimination des mauvaises herbes et un entretien sans glyphosate des sols. Mais la contrepartie est double dans le cas du labour. Le passage répété du tracteur et de la charrue rend les sols moins fertiles (et donc moins rentables) et entraine un impact significatif sur le climat en raison du CO2 libéré dans l’atmosphère dû au retournement de la terre.


 

La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que la population terrestre gaspille 1,3 milliard de tonnes de nourriture par an, soit 1/3 des aliments produits sur la planète. Comme on l’a vu, la question de l’agriculture est primordiale pour le bien-être du monde de demain. Ce qui est intéressant de voir dans le débat sur le glyphosate, c’est que le futur nous offrira probablement une réponse quant aux choix qui ont été faits au niveau mondial.


Note personnelle de fin :


Finalement, outre les problèmes financiers et les impacts incertains sur la santé et l’environnement (ce qui est déjà important), le problème est aussi éthique. Monsanto s’est presque imposé dans nos assiettes en rendant le système agricole très dépendant au glyphosate.


L’avantage de l’Europe est avant tout la mise en place de mesures plus strictes en règle générale sur la "qualité" des produits. Mais bon, on l’aura compris, les aliments de nos supermarchés ne viennent pas tous d’Europe et elle-même n'est pas parfaite..


La question du glyphosate illustre très bien le dilemme dans lequel se place notre société occidentale sur la question des herbicides/pesticides. Le glyphosate se dirige doucement vers sa fin, mais des interrogations persistent toujours sur leurs utilisations dans d'autres types de cultures (par exemple le cas des betteraves sucrières et des néonicotinoïdes).


Le monde agricole est lui aussi victime d’un système qui est difficilement vivable à long terme – ou alors s’il l’est, ce sera au prix de répercussions et de sacrifices de plus en plus importants. Les futures technologies et méthodes agricoles devront tenir compte d’une réduction massive de l’accès à certaines ressources, eau, minerais, énergies fossiles... Les paris sont lancés quant à notre capacité à s'adapter à ces futurs défis !






Les sources :


Inserm septembre 2019 44#

JOURNAL OF PESTICIDE REFORM/ FALL 1998 • VOL.18, NO. 3 UPDATED 10/00





Comentários


bottom of page